Coincés dans Zoom, le livre

Vendredi 21 octobre paraîtra chez Fyp éditions, Coincés dans Zoom : A qui profite le télétravail ? (192 pages, 22 euros, disponible en pré-commande jusqu’à cette date à 19 euros sur la boutique de l’éditeur). Certains d’entre vous avaient peut-être lu la série d’articles que j’avais consacré, fin 2020, à l’essor et aux limites de la téléconférence que nous avions connu avec la pandémie de Covid-19. D’autres ont peut-être écouté l’épisode du Code à changé de Xavier de la Porte que nous avions consacré au sujet en avril 2021. Voici désormais le livre, qui en reprend la trame et l’enrichit. Et c’est toujours un plaisir de se dire qu’un nouveau format va permettre d’élargir le public.  

La couverture du livre, Coincés dans Zoom, en librairie dès le 21 octobre 2022.

L’idée qui m’a animé était d’abord de prolonger la réflexion sur ce qu’à pu signifier dans nos vies l’irruption brusque des outils de visioconférence, de revenir sur leur histoire et leur évolution. Tenter de comprendre ce que signifie ce moment particulier que beaucoup d’entre nous ont vécu (pas tous !). Tenter de comprendre où il nous emmène. L’irruption brutale d’un outil numérique dans nos vies n’est pas fréquente. Souvent, ils s’installent doucement, progressivement. C’est aussi cette accélération inédite que je voulais ausculter. Quelle promesse les outils de visio réalisent-ils pour que beaucoup d’entre nous se soient mis à utiliser un outil qui n’était pas vraiment dans les usages, il y a 3 ans ?  

Au plus fort de la pandémie, jusqu’à 10 millions de Français ont goûté au télétravail, un télétravail intensif et contraint, alors que jusqu’en 2020, sa pratique restait très limitée et très occasionnelle. Or, on le sait, ça ne s’est pas si bien passé, ou plutôt ça ne s’est pas très bien passé pour tous. Des écrans noirs des étudiants (auxquels la couverture rend hommage), à la Zoom fatigue, les outils de visioconférences ont bien plus révélé leurs limites qu’ils n’ont fluidifié les relations de travail. Si les outils de visioconférence ont bien accéléré le télétravail, il nous faut comprendre pourquoi. Loin d’avoir amélioré l’efficacité des réunions, la visioconférence a surtout permis aux catégories socioprofessionnelles privilégiées de s’affranchir de l’épreuve de la mobilité lorsque celle-ci est progressivement revenue. Zoom n’a pas amélioré la productivité des entreprises par ses qualités propres qui en ferait un outil magique du travail des cadres, mais il a permis à ceux-ci d’avoir un meilleur contrôle individuel de leur mobilité et de leur productivité.  

Si depuis la première vague, le télétravail a largement reflué, reste que cette pratique s’est durablement installée dans la vie des professions supérieures. Mais d’un outil d’autonomie, de confort, qui se présente comme éminemment social, les outils de visioconférences ont montré qu’ils n’étaient pas aussi sociaux qu’ils en avaient l’air, laissant sur le bas côté des autoroutes de l’information ceux qui n’avaient ni les codes de conduite ni la liberté de les utiliser comme ils le souhaitent. Face à la question de l’élargissement des publics et le constat de leurs difficultés, on a eu tendance à renforcer la surveillance et les contraintes, plutôt qu’à libérer les pratiques… pour produire un télétravail de plus en plus hybride, contraint, imposé, très contrôlé. D’une pratique qui se voulait sociale, les outils de visio sont en train de devenir des outils économiques et politiques comme les autres. Économiques, puisque le travail à distance et la visioconférence se sont imposés comme des outils pour réduire les coûts, pour améliorer les gains d’efficacité et les économies d’échelle : dans l’enseignement supérieur où il est en passe de devenir un recours banalisé, malgré les difficultés qu’il génère, comme dans les entreprises qui cherchent à trouver la modalité d’une utilisation équilibrée dans des organisations de travail très perturbées par tous les changements qui les frappent. Politiques, puisqu’il est mobilisé justement dans une acception libérale, permettant de dégrader les conditions d’enseignement comme de travail, en déportant toujours plus les coûts collectifs sur les individus, à l’image dont on l’envisage désormais, comme une solution pour pallier aux défaillances d’investissements face à l’envolée des coûts de l’énergie. Au final, on peut se demander si le télétravail n’augure pas d’un statut social du cadre en mode dégradé : un moyen d’améliorer les gains de productivité des professions supérieures, après avoir ratissé tous les gains de productivité qu’il était possible de faire sur les derniers de cordée. Symptôme de l’individualisation du travail, il renforce la précarisation et la déqualification du travail des cadres par leur mise à distance, entre ubérisation et précariat. 

Le propos que je défends dans cet essai, c’est que Zoom, malgré sa grande simplicité, n’est pas un outil adapté à tous. C’est le constat que dresse également Eszter Hargittai (@Eszter) dans un livre à paraître sur le sujet, Connected in isolation, qui souligne que les visioconférences ont surtout bénéficié à ceux qui étaient le plus connecté, à ceux qui ont les capacités socio-économiques pour s’y confronter. Le constat est ancien et la crise ne l’a que renforcé : les pratiques numériques les plus riches, les plus variées sont d’abord le fait de ceux qui ont les pratiques culturelles les plus riches et les plus variées, de ceux qui ont les moyens économiques, culturels et politiques de leur liberté. 

Pour que le télétravail soit profitable à ceux qui l’utilisent, il faut qu’ils soient capables ou qu’ils disposent d’une certaine autonomie, d’une certaine indépendance. Partout où cela n’a pas été le cas, cela c’est mal passé. Zoom est resté l’outil qu’il était avant la pandémie : un outil de cadres pour cadres. Tout comme la pratique du télétravail est majoritairement restée ce qu’elle a toujours été : une pratique de cadres pour cadres.  En tentant de l’élargir, de l’imposer sans contrepartie ni garantie, le télétravail est en train de devenir un espace de tension supplémentaire entre individus et collectifs. Dans un travail qui se délite, qui s’individualise toujours plus, le télétravail participe à l’effondrement du travail, de son sens, comme l’expliquent Thomas Coutrot et Coralie Perez dans un excellent livre qui vient de paraître : Redonner du sens au travail. Dans un moment où les relations de travail sont de plus en plus inégalitaires, car de plus en plus individualisées, le télétravail ne remet aucune équité, mais au contraire participe de sa dissolution. A mesure qu’on facilite les abus des entreprises à l’encontre de leurs employés (comme le facilite la loi travail et ses plafonds d’indemnisation quelque soit le niveau d’abus que commettent les entreprises, ou la menace de l’abandon de poste qu’il sera si facile d’activer à distance…), le climat du travail ne peut que se dégrader partout. Sans pouvoir “convertir des rapports de force en rapports de droit”, comme disait Alain Supiot, il n’y aura pas plus de justice en télétravail qu’au travail. 

Hubert Guillaud

J’espère que l’ouvrage vous plaira ! Il est disponible en pré-commande sur toutes les plateformes. Pour toute demande de service de presse, je vous invite à vous adresser directement à FYP éditions. Interviews ou invitations sont traitées en directes : hubertguillaud@gmail.com 

Je me permettrai de mettre à jour ce billet en y collectant les recensions presse et web :

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