Excellent ce second volume du Monde en pièces signé d’anciens et de nouveaux membres de feu le groupe technocritique Oblomoff. Avec une fantastique contribution de David Gaborieau décrivant la transformation du monde de la logistique par la commande vocale qui interroge ce que les logiciels font aux corps même des préparateurs de commandes. Qui souligne que l’autonomie, désormais, à pouvoir travailler sans être dérangé, même par son propre corps, ou que les bris de machines n’ont pas disparus, mais sont devenus des gestes individuels sans grande portée. Ou encore comment l’ouvrier accélère ses gestes pour compenser le manque de sens son activité et la réaliser mieux que la machine ne lui ordonne. Et qui pointe combien la contestation est devenue impossible, à la fois du fait de la précarité, et à la fois par la destruction des espaces pour dire comment faire le travail. Un excellent volume, qui regarde le concret du travail informatisé pour souligner ce qu’il casse, réduit et broie.
L’informatique est ici, mieux qu’ailleurs, décrite comme le bras armé d’un monde toujours plus industriel, toujours plus optimisé, incompatible par nature, avec la crise écologique tout comme avec le fait même d’être humain. Comme le pointe Robin Mugnier dans un excellent article sur la numérisation de l’apiculture, l’informatique permet au capitalisme de toujours mieux s’adapter à contenir un contexte qui lui est de plus en plus défavorable. C’est la logique même de l’ordinateur, confesse l’informaticien repenti Denis Durepaire, que de nous abstraire de la réalité, que d’intensifier le travail d’autrui…
Face à un monde dont la finalité n’est jamais discutée, Oblomoff nous rappelle qu’il y a pourtant matière à discussion.
Hubert Guillaud
A propos du livre du collectif Oblomoff, Le monde en pièces: Pour une critique de la gestion Tome 2, Informatiser, éditions La lenteur, mars 2019, 143 pages.