L’épaisseur et la densité des Diplomates, cohabiter avec les loups, le précédent livre de Baptiste Morizot m’avait un peu effrayé, moi qui lit lentement. C’est pourquoi j’ai préféré ce nouvel ouvrage, Sur la piste animale, recueil d’articles qui me semblait porter aussi une exploration plus ouverte. Sur la piste animale s’intéresse surtout à pister l’homme, à comprendre comment cette activité primale du pistage est à l’origine de notre intelligence elle-même, de notre humanité (la quête). Le ranger Morizot nous raconte l’art de faire une géopolitique écologique en enquêtant sur comment les autres vivants habitent le monde. Mais il transforme, d’une langue superbe, ce rapport au monde à une compréhension de soi et de l’homme. Il fait de ses journaux sur les pistes des sentes des loups, des ours et des panthères, une métaphysique, un pistage philosophique, une compréhension de nos sens et de notre existence. Morizot extrait de nos représentations binaires un autre rapport au monde, nous invite à une autre diplomatie, à une cohabitation transformée avec le monde que nous avons aseptisé, détruit, mis au pas, civilisé. Il nous rappelle à notre logique animale.
Il souligne encore que nous ne cessons de donner des signes, d’en produire. “Vivre, c’est être généreux en signes”. La pratique du pistage est une pratique symétrique du point de vue géopolitique : ce n’est pas seulement lire les signes, mais tout à la fois être lu par d’autres. Mais si le pistage est une expérience subjective de projection de soi-même dans l’animal, qui implique compréhension et négociation, on comprend vite qu’elle repose bien plus sur une forme d’empathie que sur une forme de production ou de consommation. En cela, il nous aide à la distinguer du profilage, qui, par son caractère automatique, lui, ne s’intéresse pas au vivant et vise à rendre les traces productives. Le profilage a réduit la chasse à ce qu’elle n’a jamais été, un acte de prédation qui ne vise à favoriser aucune cohabitation, aucun mutualisme ne serait-ce que des humains entre eux.
Morizot devra tout de même prendre garde à ne pas devenir le philosophe bienveillant qui parle d’un monde à sauver qui n’existe plus.
Hubert Guillaud
A propos du livre de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes Sud, avril 2018, 208 pages.