Le camarade Nicolas Nova (@nicolasnova) nous livre dans son dernier livre, Smartphones, une excellente synthèse sur cet objet que nul ne sait plus décrire. Les analyses sont fines, riches en sources, précises dans leurs définitions.
Phénomène socio-culturel polysémique, Nova tente de circonscrire notre rapport à l’instrument en regardant comment ses utilisateurs le caractérisent et l’utilisent. C’est dans notre rapport à l’objet, par nature ambivalent, que sa réalité se dessine. Pour chaque caractéristique qu’il lui assigne, Nova fait le patient travail de faire parler les usagers, de remettre les concepts en perspective et de montrer que les catégories dans lesquelles on voudrait bien le faire entrer ne le réduisent jamais.
Derrière l’objet et les usages protéiformes que nous en avons, se révèle surtout un cristaliseur, un fait social total, un médiateur omniprésent de notre monde dont le caractère totalisant voire totalitaire dépend beaucoup des pratiques et de leur adéquation avec les mécanismes caculatoires à l’oeuvre dans ce qui semble n’être qu’un bout de plastique. La difficulté à saisir les usages et à les catégoriser tient beaucoup de leur plasticité, qui oscillent selon les pratiques et les outils, semblant rendre toute synthèse impossible (à l’image des modalités de paiements, allant du scan de QR code, au paiement sans contact en passant par l’échange de cryptommonaies).
Pour Nova, au final, le smartphone tient de plus en plus d’un guide comportemental, d’un cadrage, configuré en partie par les concepteurs de l’objet et de ses apps, mais aussi par l’analyse des actions effectuées par chacun et par tous. Nous sommes au coeur d’un appareil qui évolue en permanence et qui réévalue en permanence son potentiel à l’aune de l’analyse de nos activités. Pour Nova, souligne-t-il dans une conclusion puissante, nos compétences à l’utiliser, à comprendre son fonctionnement et ses évolutions annoncent “l’avènement de clivages sociaux croissants” par rapport aux régimes d’assistance que nous procureront les machines ou notre degré d’autonomie et de liberté. Derrière la normativité à l’oeuvre, notre autonomie dépend aussi de nous, pour autant que nous arrivions à lever l’opacité et à saisir la complexité des smartphones.
Hubert Guillaud
A propos de Nicolas Nova, Smartphones, une enquête anthropologique, Metis Presses, juin 2019, 376 pages.