Petit à petit, l’essai de Vanessa Codaccioni (@vcodaccioni), La société de vigilance, se déploie pour nous rappeler que la délation n’est pas si naturelle que cela, qu’elle est orientée, instrumentée. Notre vigilance n’est pas du tout totale, égale ou neutre : elle est éminemment dirigée, sociale, discriminante, idéologique. Codaccioni explore le leurre sécuritaire, non pas pour nous montrer que nous y aurions de l’appétit, mais pour souligner que d’autres y ont bien plus d’appétit que nous et qu’ils orientent notre regard sécuritaire (pas sur la délinquance en col blanc ni sur l’évasion fiscale, vous l’aurez compris, pas au profit des lanceurs d’alerte…).
Nous ne sommes pas dans l’ère du panoptique, mais dans celui du synoptique, celle de la surveillance de quelques-uns par tous, renforcé par le marché et la tech. Le but de cette vigilance : légitimer la répression et déresponsabiliser les acteurs moteurs de cette évolution. D’où le glissement que constatait également l’avocat Arié Alimi dans Le coup d’Etat d’urgence : la stigmatisation de comportements, la criminalisation de profils, de signes…
Stigmatisations qui légitiment en retour des politiques discriminatoires qui ne produisent pourtant rien d’autre que de la discrimination. Le signalement, la délation… sont plus entretenues que spontanées et ce alors que la répression, elle, est maintenue loin du regard du délateur. L’entretien de la délation qui s’étend sans cesse à de nouvelles cibles, profils, dangers… s’immisce jusqu’aux relations familiales et intime et légitime finalement toutes les haines et leur garantie “une impunité au nom de la sécurité”.
Dans le vortex de la sécurité, le spectre répressif est sans fin… Et son horizon vise à contraindre à la délation, pour nous enrôler tous dans l’idéologie mortifère de la seule sécurité. Petit à petit, en rendant tout sécuritaire (comme l’école où l’assistance sociale), le risque est bien qu’il n’y ait plus d’autres buts que sécuritaire, que la répression pour elle même (sans que jamais elle ne sache répondre aux causes sociales de la déviance, comme la précarité économique ou sociale, autrement que par la seule répression). Les perspectives de notre obsession sécuritaire sont définitivement glaçantes.
Hubert Guillaud
A propos du livre de Vanessa Codaccioni, La société de vigilance, Textuel, janvier 2021, 160 pages.