Greenwashing, Techwashing : même impasse ?

Greenwashing, manuel pour dépolluer le débat public est un petit livre militant sous forme de dictionnaire qui en 24 entrées va vous rendre encore plus critique que vous n’êtes. Très basique et accessible, ce vade-mecum déconstruit les termes du débat écologique pour en montrer les béances. De l’agriculture à la ville durable, en passant par la compensation, la dématérialisation, l’économie circulaire, la neutralité carbone, la RSE, la transition ou le véhicule propre… cette micro-encyclopédie permet de réaliser combien nous sommes cernés par le greenwashing… tant et si bien qu’on se demande, après l’avoir refermé, ce qui n’en relève pas. Dans le discours Vert, nous sommes cernés par les injonctions et le marketing. L’enjeu des limites au développement semble coincé dans l’étau néolibéral, comme saisi sous l’emprise du capitalisme. L’une après l’autre, chaque entrée montre combien nous sommes pris dans les rets d’un greenwashing institutionnalisé, qui nous empêche de parler des enjeux primordiaux que sont la décroissance, la sobriété et les solutions collectives. 

Greenwashing est un bon ouvrage pour nous déciller les yeux. Il nous rappelle combien tout est fait pour dépolitiser ces enjeux, pour repousser les problèmes, retarder les décisions et les changements, les noyer de chiffres, de faux problèmes et de fausses solutions cadrées sous un prisme uniquement économique qui ne valorisent que des réponses du et par le marché, dans des vocables régulièrement mis à jour pour relancer les mêmes questions sous un nouveau jour sans les faire progresser. Bref, pour faire illusion, tout en privilégiant le business as usual

En le lisant, je me disais que nous aurions bien besoin d’un techwashing, un ouvrage similaire qui ferait le point sur le techno-solutionnisme de façade et le verrouillage que les déploiements de la technologie aujourd’hui produisent sur notre avenir. On pourrait d’ailleurs quasiment reprendre l’introduction (qui est disponible en ligne sur la revue Terrestre) d’Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (les deux derniers sont membres de l’Atecopol, @Atecopol) en remplaçant leur dénonciation du greenwashing par celle du techno-solutionnisme. Elle fonctionnerait très bien ! Tentons de nous y essayer (rapidement et imparfaitement) en filant les principaux arguments que Berlan, Carbou et Teulières développent dans leur introduction.  

Le Greenwashing – comme le technosolutionnisme -, dépasse largement le champ de la communication d’entreprise, pour relever d’une tendance plus générale à “mal penser” les problématiques écologiques (ou techniques) de nos sociétés. L’un comme l’autre sont des moyens de nous enfermer dans des trajectoires socio-écologiques comme socio-techniques insoutenables. Ils reposent, l’un comme l’autre, sur une rhétorique faite de termes flous, d’euphémismes, pour faire passer des déclarations invérifiables ou de simples promesses comme des moyens pour remettre les actions concrètes à plus tard. Ils relèvent d’un procédé de dissimulation, voire de manipulation pour fabriquer de l’adhésion et du consentement. Le dénigrement (techbashing) et la récupération (techwashing) sont plus complémentaires qu’opposés, car ils permettent de délimiter le “corridor du discours” en matière technique dans l’espace public. Ils permettent d’exclure du débat “sérieux” les projets de transformation sociale remettant en cause les modes de vie ou le fonctionnement du capitalisme industriel. L’un alimente l’autre. L’historien Michael Bess a parlé de société vert clair, un monde où le souci de l’environnement semble être à la fois partout et nulle part. Même chose pour la technologie. On nous dit d’un côté qu’elle amplifie les problèmes, tout en étant partout la solution à venir. Le souci technique justifie des dispositifs réglementaires qui compliquent la vie quotidienne des populations les moins favorisés, pour un résultat dérisoire. A l’image des normes qui se déploient pour la modération automatisée, qui loin de remettre en cause le modèle productiviste des réseaux sociaux, favorise l’élimination des petits réseaux… Pourtant, on le constate partout, les tentatives de technologisation (comme celles d’écologisation) semblent toujours tourner court (la réponse par la technique produit surtout des réponses défaillantes, comme nous le montrions en évoquant les applications contre les violences sexuelles par exemple). 

Face au Greenwashing, Berlan, Carbou et Teulières dénoncent nos trois aveuglements, à savoir l’économisme, le solutionnisme technologique et la pensée en silo. “L’économisme désigne la tendance à n’imaginer la conduite des affaires humaines qu’au travers des mécanismes de marché”, d’un entêtement marchand à l’image de la croissance verte, qui laisse de côté toutes les autres propositions comme l’auto-organisation ou la gestion des communs. Le solutionnisme technique, cette confiance dans l’innovation pour régler nos problèmes, est elle aussi aveugle aux alternatives. Quant à la pensée en silo, elle consiste à rester aveugle aux phénomènes systémiques, à favoriser des solutions individualistes. Ce qui fait dire à Berlan, Carbou et Teulières, que nous ne sommes pas seulement confrontés à une bataille d’enfumage, mais bien à une bataille culturelle entre ceux incapables de dévier du tunnel qu’ils creusent et ceux qui voudraient s’en extraire. 

Enfin, expliquent-ils, si le greenwashing l’emporte (même chose pour le techwashing, il me semble), c’est parce que nous sommes confrontés à une forte demande sociale pour rester dans notre zone de confort. Envisager la fin de la voiture individuelle ou celle du smartphone, est trop coûteux. Si “ces idées semblent inaudibles dans l’espace public, c’est qu’elles ne bousculent pas simplement des habitudes isolées, mais toute une vision du monde centrée sur le “progrès”, vu comme un processus linéaire qu’il faudrait accepter ou rejeter en bloc. Dans cette vision, évoquer par exemple une désengagement du numérique pour des raisons écologiques, c’est non seulement s’attaquer à quelque chose qui est devenu désirable pour bien des gens, mais c’est également sembler menacer l’ensemble des dispositifs techniques du quotidien (comme si refuser la 5G signifiait de facto renoncer à la radiographie médicale). Plus encore, c’est proposer de rompre avec le moteur des espérances contemporaines, comme si cette forme spécifique de développement techno-scientifique constituait la seule et unique fabrique d’un avenir désirable”. Le Greenwashing (comme le techwashing), “protège “l’idole du progrès”, dont la destitution provoquerait l’effondrement de bien des illusions constitutives de notre vie moderne”

“L’inexorable aggravation de la situation atteste de l’impuissance à réorienter la trajectoire collective.” Le Greenwashing est le “dernier rempart – illusoire et pervers – contre la panique”. Le Greenwashing marche parce qu’il nous berce d’illusions (tout comme la croyance dans les promesses innombrables de l’évolution des systèmes techniques, comme l’IA). Il marche enfin parce que “le développement industriel repose de plus en plus sur un processus objectif d’occultation des dangers”, que ce soit l’externalisation de la pollution à l’autre bout du monde pour le greenwashing, à l‘automatisation de la discrimination et à une surveillance sans limites des plus faibles pour le techwashing (des migrants aux frontières en passant par la surveillance des plus pauvres dans les systèmes administratifs…). “Le greenwashing n’est donc pas une dérive circonstancielle, mais une nécessité constitutive des sociétés industrielles”. Il est une idéologie (tout comme l’automatisation, la reconnaissance faciale, la surveillance…).

“Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera”, disait Bernard Charbonneau dans Le feu vert. Les entreprises (les plus polluantes, comme les plus technologiques) prennent désormais en charge les alternatives et les formatent selon leur vues. Elles proposent les solutions (calibrées par et pour elles) à leurs propres débordements, par des solutions de gestion du carbone dans le cadre du Greenwashing, par des solutions de gestion des contre-effets de leurs déploiements technologiques pour celles de la technique. Les milliardaires qui font fortune sur la prédation du monde nous proposent de faire semblant de le sauver. Berlan, Carbou et Teulières proposent de ne plus se laisser sidérer par les éco-promesses, par ne pas se laisser bercer par la dépolitisation qui vise à “préserver le statu quo, contrer la mobilisation et l’action collective”, échapper au changement de cap. “Alors qu’il faut changer de modèle, tout est fait pour continuer à croire que des modifications à la marge suffiraient”. Le verdissement de façade est en fait un moyen de verrouiller l’avenir, tout comme le technosolutionnisme de façade nous entraîne dans un verrouillage technique de l’avenir. L’un comme l’autre ferment nos capacités à nous saisir des enjeux et à nous permettre de décider des façons d’y répondre. 

Le technosolutionnisme est l’une des phases les plus actives du Greenwashing. A la différence qu’il reste plus hermétique encore aux questions écologiques et sociales, ne prétendant même pas faire semblant. L’enjeu, rappellent les auteurs du Manuel, c’est de nous opposer au verdissement en rendant visibles les alternatives, tout comme nous devons nous opposer au technosolutionnisme en rendant visible les alternatives. Reste encore et surtout à leur donner plus de poids qu’elles n’en ont. Le combat s’annonce déséquilibré, mais il y a quelques pistes (nous leur donnerons échos prochainement en évoquant le livre à paraître de Ben Tarnoff, Internet for the people)… 

Hubert Guillaud

A propos du livre Greenwashing, manuel pour dépolluer le débat public, sous la direction d’Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières, collection Anthropocène, Le Seuil, 2022, 256 pages, 19 euros.

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