Cinquante #1

Inspiration.

Je vois et sens encore sous mes baskets, les craquelures du trottoir. Elles étaient déjà là. Elles ont été recouvertes de bitume depuis. Il me semble me souvenir profiter de ces craquelures pour faire des pistes où faire rouler mes petites voitures. La rue était plus à nous qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Je ressens encore le poids de la porte, qui s’ouvrait d’un loquet et d’une grosse clef, donnant sur un grand couloir carrelé de carreaux bleu et marron, toujours froid, vide, pareil à une cathédrale, séparant deux mondes. La poussière volait toujours dans la lumière qui passait à travers les carreaux translucides, un peu comme les vitraux à l’Eglise. A gauche, tout de suite, il y avait une porte en bois, brinquebalante, descendant dans l’ombre humide de la cave, avec une ampoule vacillante pour tout éclairage, sa pierre à nue, et ses toiles d’araignées comme autant de menaces démesurées. Au bout du couloir, il y avait une autre porte branlante, fermant mal, avec une poignée de porcelaine, qui laissait passer une odeur d’eau croupie des vieilles toilettes qui s’y cachaient. Un grand escalier de pierre montait à gauche sur plusieurs étages, qui semblait mener nulle part. Une vieille porte en bois donnait sur un petit bureau qui sentait l’encaustique. Enfin, les deux portes principales donnant sur deux appartements se faisaient face… Je me souviens qu’elles ne s’ouvraient jamais en même temps, comme par peur que ce qu’elles refermaient puisse s’aspirer l’un l’autre. Les deux maisons étaient séparées par la colère et la rancune. Et ce grand couloir froid, avec ces escaliers de pierre dont on ne voyait pas le plafond. Cette lumière de cathédrale. Et cette odeur tenace d’eau croupie.

Malgré les fâcheries familiales, je retrouvais ma cousine dans le jardin que les deux maisons partageaient de l’autre côté de la rue, sans jamais que d’autres que nous deux ne s’y croisent. On jouait plus rarement dans la cour de gravier à gauche, qui desservait les entrepôts de l’entreprise de maçonnerie familiale. On évitait les entrepôts et leur fatras. On profitait juste d’un des tas de sables qui était là, celui de sable fin, où l’on creusait des pistes et tunnels pour les voitures.

Mais comme partout, ce territoire semblait bardé de frontières invisibles auxquels les adultes prenaient garde, comme si eux seuls en voyaient les limites. Je garde l’impression que seuls les animaux et les enfants ne voyaient pas les frontières que les adultes avaient tracés. Tout était support à jeu.

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