Comme on l’a vu lors de la rencontre précédente, la dématérialisation ne résout pas grand chose, constate Yaël Benayoun du Mouton Numérique (@MoutonNumerique), en préambule à la rencontre du 24 novembre qu’organisait l’association au Centre Picoulet à Paris sur la dématérialisation des services publics. La dématérialisation rend les rapports avec l’administration plus complexes et violents. En fait, le solutionnisme numérique des services publics repose sur une incompréhension des rapports que les usagers ont avec l’administration, explique-t-elle. Les technos semblent bien plus instrumentalisées pour construire de l’obstruction à l’accès aux droits qu’autre chose. Quels choix politiques se cachent dans les systèmes techniques ? C’est la question que souhaite continuer à poser ce cycle de rencontres en regardant les effets de la numérisation sur le travail des agents. La dématérialisation se présente toujours comme une modernisation, qui vise à rendre l’administration plus efficace en améliorant les conditions de travail des agents. En tout cas, c’est la promesse qu’elle adresse. Qu’en est-il en vrai ?

Le numérique est devenu omniprésent à Pôle Emploi, explique Yoan Piktoroff (@YoPikto), syndicaliste à la CGT Pôle Emploi (@FnposCGT). Usagers comme agents en sont très dépendants. On compte pas moins d’une dizaine de logiciels que les salariés de Pôle Emploi utilisent quotidiennement.
Pôle Emploi est née en 2008, rappelle Piktoroff, de la fusion de l’ANPE et des Assedic, c’est-à-dire de l’agence chargée d’accompagner à la recherche d’emploi et de l’organisme chargé de la collecte des cotisations et de l’indemnisation. A l’époque, Nicolas Sarkozy avait pour modèle les jobs centers britanniques, qui avaient cette double charge et qui usaient déjà leurs pouvoirs de contrôle pour mieux limiter les droits. La fusion va permettre à Pôle Emploi de devenir un établissement public à la fois juge et parti, en soumettant l’indemnisation à la recherche effective d’un emploi. Cette fusion va nécessiter celle du système informatique des deux établissements, une fusion qui, dès l’origine, a été compliquée. Depuis 2015, Pôle Emploi a investit massivement dans des technologies d’IA pour améliorer ses systèmes. Cette numérisation à marche forcée a surtout eu pour conséquence de diviser par deux les effectifs, explique Piktoroff. Pour cela, Pôle Emploi a recours à deux techniques : la sous-traitance et le transfert du travail administratif aux entreprises et aux usagers. La sous-traitance existe depuis longtemps. A l’époque des Assedic, l’organisme y avait déjà recours pour traiter les bulletins de salaires, mais celle-ci s’est considérablement développée depuis, à l’image de l’entreprise Tessi, l’un des principaux sous-traitants de Pôle Emploi. Cette sous-traitance génère beaucoup d’erreurs, alors que la moitié des demandes d’allocations sont traitées automatiquement. Les effectifs des agents dédiés à l’indemnisation ont eux été divisés par deux. Aujourd’hui, chaque agent indemnisateur a en charge 800 à 1100 demandeurs d’emploi. Les transformations de l’indemnisation en 2021 sont devenues si complexes que le système a crashé pendant plusieurs jours, contraignant les agents à revenir à des calculs manuels.
Le transfert du travail administratif aux entreprises et aux usagers s’est aussi beaucoup développé. Depuis 2017, les entreprises doivent accomplir leurs Déclarations sociales nominatives, informatisées et obligatoires, c’est-à-dire la déclaration des salaires et des cotisations sociales afférentes. En 2018 est aussi lancé Mon Assistant Personnel (MAP), qui est une interface commune agents/usagers [l’une des conditions qui rend “l’ordinateur fatal”, comme dit Benjamin Bayart, c’est-à-dire qui empêche toute négociation, puisque l’agent ne peut plus agir, NDE]. MAP est le logiciel de suivi de l’activité des usagers dans leur demande d’emploi, qui permet à la fois d’améliorer le contrôle et surtout de les éloigner des agents et des agences : toute la relation est désormais gérée en ligne… De plus en plus, les usagers doivent se débrouiller seuls. Ils peuvent désormais s’inscrirent par eux-mêmes à des ateliers et démarches, sans avoir à passer par des conseillers, qui sont eux-mêmes débordés, devant gérer chacun quelques 400 demandeurs d’emplois.
Yaël Benayoun rappelle que la justification première de la dématérialisation est bien l’amélioration du rendement. A la CAF par exemple, la mesure phare, c’est le nombre de “liquidation de dossiers” par unité de travail, c’est-à-dire le nombre de dossiers traités par agents. Le numérique répond à un projet politique d’intensification de la gestion. Ce qui n’est pas sans conséquences sur toute la chaîne, à l’image des tribunaux administratifs devenus les guichets distants de la préfecture pour la demande d’asile, comme le racontait Gabriel Amieux la dernière fois.
La sociologue Nadia Okbani est spécialiste du travail social à l’heure du numérique et à ses évolutions. Elle rappelle que 29% des personnes ne font pas de démarches en ligne. Ces personnes qui n’activent pas leurs droits sont d’abord les personnes au plus faible niveau de diplômes, de revenus, des personnes plutôt âgées, mais pas seulement, plus concentrées dans le monde rural. Avec le numérique, la démarche d’accès au droit est renvoyée à la responsabilité individuelle. Les problèmes d’accès au droit existaient déjà avant la dématérialisation, mais celle-ci a ajouté de nouvelles difficultés plutôt que d’en enlever. La dématérialisation a ajouté de la complexité (devoir se créer un compte, un mot de passe…), a ajouté des procédures (par exemple, la nécessité de réduire la taille des documents et pièces justificatives) alors que les statuts eux-mêmes sont devenus plus complexes (comme pour ceux qui sont à la fois salariés et auto-entrepreneurs par exemple). Ces difficultés font porter un risque inédit, qui retarde et dégrade l’accès au droit. Et cette dégradation de l’accès aux droits aggrave les situations : ne pas avoir pu ou su demander une aide au logement peut conduire jusqu’à des situations d’expulsions qui auraient pu être évitées par une intervention et un accompagnement en amont…
Pour Nadia Okbani également, avec la dématérialisation on a eu un transfert de la charge de travail administratif aux usagers et aux travailleurs sociaux. L’accompagnement aux démarches en ligne génèrent des tensions chez ceux qui en récupèrent la charge : collectivités territoriales, centres communaux d’actions sociales, associations… Certains centres sociaux par exemple refusent de le faire, d’autres y sont plus ouverts. Cette charge de l’accompagnement des usagers dans leurs démarches en ligne revient à différents acteurs : assistantes sociales, éducateurs spécialisés, animateurs de centres sociaux… mais aussi bénévoles d’associations ou jeunes en services civiques… autant d’acteurs qui disposent de compétences variées et variables pour accomplir ce travail d’accompagnement. Sur le terrain, chacun arbitre. L’accompagnement aux démarches en ligne n’est pas toujours bien considéré par ces acteurs et dépend des compétences et appétences des agents. Accompagner un usager pour établir un droit au RSA demande de commencer par ouvrir une boîte mail, de récupérer un mot de passe… Dans une même structure, on constate des comportements très variables sur l’accompagnement. Ce qui est sûr, c’est que plus on est éloigné de l’accès, plus on a du mal à trouver un interlocuteur pour faire ce travail d’accompagnement. Non seulement parce qu’il a plus de chance d’être complexe, mais surtout parce qu’il est peu considéré par les agents comme par les hiérarchies. Pour beaucoup, c’est toujours le travail d’autres services publics.
Yaël Benayoun rappelle que ces arbitrages à l’accompagnement sont aussi dictés par les consignes de productivité que reçoivent les agents. Entre arbitrages, injonctions contradictoires… la position des agents n’est pas toujours simple.
Tout à fait, complète Yoan Piktoroff. “On n’a pas le choix de faire certains actes”. Nombre de conseillers à Pôle emploi sont désormais dédiés au seul contrôle. Les nouveaux recrutements sont formatés aux nouvelles logiques. Ils ont intégré la stigmatisation des chômeurs qui va avec la diminution des droits et la progression des contrôle. Les agents n’ont plus le temps de faire de l’accompagnement individuel. Désormais par exemple, les agences Pôle Emploi sont fermées l’après-midi, sauf rendez-vous. Très concrètement, cela réduit l’accès. Depuis 2018, il n’y a plus de conseillers indemnisation à l’accueil. On ne peut les joindre que par téléphone et mails. Avec la crise épidémique est arrivé le télétravail. Il a été plébiscité par les collègues (qui sont pour 75% des femmes), trop heureux de fuir les conditions de travail dégradées en agence. Le télétravail concernait à peine 5% des agents avant la crise. Désormais, 84% des agents est en télétravail un à deux jours par semaine. Cela a encore accéléré la transformation du métier : on ne reçoit plus le public. En deux ans, l’entretien téléphonique est devenu une norme qu’il n’était pas. L’après-midi, les bureaux sont vides d’usagers, et les agents télétravaillent depuis l’agence. En fait, les agents ont accepté l’éloignement des usagers pour obtenir de meilleures conditions de travail. Avec la réforme France Travail qui se profile, on ne parle même plus d’accompagnement. Cette mission est désormais sous-traitée au privé. La mission d’accompagnement à la recherche d’emploi est appelée à disparaître. Bien sûr, les agents y sont opposés, comme l’ont montré les grèves d’octobre, qui derrière les conditions salariales, appelaient surtout à augmenter les effectifs. Le numérique a transformé les missions et la nature même des métiers.
Nadia Okbani dresse le même constat chez les agents de la CAF. La dématérialisation a commencé par une diversification des modes de contacts, ou ouvrant au contact par mail ou en ligne. Puis, le mode de contact numérique a été rendu obligatoire pour certaines démarches, comme la prime d’activité et les aides personnalisées au logement étudiant. Désormais, la norme, c’est la démarche en ligne. Et pour mieux l’imposer, c’est l’accueil physique dans les agences qui a été modifié. Désormais, le rendez-vous prévaut. On n’a plus accès aux agents à l’accueil des Caf, mais à des ordinateurs dans un espace de libre service. Bien souvent, il n’y a plus d’accueil assis, hormis pour ceux qui attendent leur rendez-vous. Il y a bien des conseillers présents, mais ceux-ci ne maîtrisent pas la gestion des droits, ils ne sont là que pour accompagner les usagers à faire leur démarches en ligne ou à prendre rendez-vous sur un ordinateur. Les conseillers présents sont formés en 14 semaines, quand il faut 18 mois de formation à un agent pour maîtriser la complexité des prestations. Dans ces espaces, les publics attendent, s’impatientent. Certains gèrent leurs démarches. Les conseillers activent les publics pour qu’ils réalisent leurs démarches seuls. Or, bien souvent, les publics viennent pour des questions précises et n’obtiennent pas de réponses puisqu’ils n’accèdent pas à ceux qui pourraient les leur apporter. Prendre un rendez-vous en ligne est lui-même compliqué. Bien souvent, il n’y a pas de créneau qui sont proposés (les rendez-vous sont libérés à certains moments de la semaine, et c’est l’information capitale : à quel moment faut-il se connecter pour espérer avoir un créneau de rendez-vous). Certains motifs qu’il faut renseigner pour en obtenir un, ne fournissent pas de rendez-vous. D’autres au contraire ouvrent plus facilement un accès, comme le fait de déclarer être enceinte. Souvent, l’agent vous appelle la veille du rendez-vous au prétexte de le préparer, rappeler les documents nécessaires à apporter… bien souvent, c’est pour tenter de trouver une raison de l’annuler. Quant aux rendez-vous pour un RSA, les 20 minutes maximum que les agents peuvent passer avec un usager, fait qu’ils sont décomposés en plusieurs rendez-vous, quand ils ne sont pas sans cesse reportés. Au final, constate Nadia Okbani : “ce sont les publics les plus précarisés qui sont les plus éloignés des agents les plus compétents, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin”, d’abord parce que leurs situations sont souvent compliquées et nécessitent des savoirs-faire pour dénouer l’écheveau complexe des droits auxquels ils pourraient avoir accès.
Face à la difficulté à accéder à des agents compétents, les usagers sont contraints de se tourner vers d’autres acteurs de la production de l’accès au droit. Dans la division du travail d’accompagnement, on trouve en effet beaucoup d’acteurs, des acteurs publics, privés, qui ont les uns comme les autres différents sous-traitants de différentes qualités. Il faut aussi compter sur de nouveaux acteurs, comme les acteurs du numérique qui proposent de l’inclusion numérique, c’est-à-dire de l’accompagnement pour être formé aux outils numériques. Mais ces formations n’enlèvent pas la difficulté administrative ni ne résout la complexité des situations personnelles. Même chez les publics précarisés, y’a des gens qui savent se débrouiller avec le numérique, mais c’est plus difficile avec l’administratif lui-même. Beaucoup de gens veulent du conseil administratif par rapport à leurs situations et peinent désormais à le trouver. Les conseillers numériques des agences France Service par exemple, sont des personnes qui reçoivent deux mois de formation. Ils savent accompagner au numérique, mais pas toujours accompagner à l’accès au droit. Certains agents sont eux-mêmes précarisés et ne connaissent pas nécessairement les acteurs du social local. Accompagner les publics dans leurs démarches en ligne nécessite de maîtriser, de connaître les acteurs du social, les prestations… Dans cette longue chaîne de l’accompagnement au droit, celui-ci est très différent d’un lieu à l’autre. Il dépend des statuts et des compétences, qui ne sont pas nécessairement les mêmes, d’une structure à l’autre. Les configurations d’accueil et d’accompagnement ne sont pas les mêmes : les niveaux de compétences relationnelles, de confidentialité par exemple peuvent être très différents. Les travailleurs sociaux tentent plutôt de se délester de l’accompagnement. Dans les structures d’éducation populaire c’est variable… Les acteurs du numérique, proposent des activités diverses qui reposent parfois sur de l’aide bénévole, plein de bonnes volontés certes, mais sans toujours grandes compétences pour accompagner aux droits des personnes dont le dossier est compliqué. Enfin, on commence à voir apparaître des acteurs privés lucratifs, qui se rémunèrent sur la prestation sociale qu’ils aident à obtenir, même si c’est interdit. Face aux besoins, ce type d’acteurs se développent, ce qui montre bien surtout les situations de détresse des gens et la difficulté à les accompagner dans leurs parcours d’accès à leurs droits. Derrière cette logique d’externalisation de l’accompagnement, ce que Nadia Okbani montre, c’est également une logique de dégradation d’accès. La compétence pour résoudre les situations administrativement compliquées s’éloignent de ceux qui en ont besoin [et même des autres structures d’accompagnements, rappelle-t-elle sur BastaMag : “les services des départements et les centres communaux d’action sociale, c’est qu’avant, ils disposaient de contacts directs avec les services publics. Ils avaient un référent qu’ils pouvaient appeler pour débloquer des situations. Maintenant, ils n’ont plus accès à ces personnes et doivent eux aussi passer par des démarches en ligne, ce qui complique leur accompagnement des publics.”]
Pour Yoan Piktoroff, nous sommes dans une logique de maltraitance à l’égard des agents comme des usagers. La déqualification est une stratégie pour diminuer le pouvoir des agents, car leur expertise est un pouvoir. La déqualification permet aussi d’asseoir celui des managers… Les agents doivent s’adapter aux changements en cours, mais cela transforme le sens du travail. Les indicateurs qui mesuraient la qualité de service sont devenus désormais des objectifs. Les managers qui étaient des animateurs d’équipes, sont désormais les pilotes qui contrôlent le travail des agents.
Les agents sont face à des injonctions permanentes des logiciels qui leurs délivrent des alertes en continue qui empêchent le travail, où celles du management qui impose ses tempos. Par exemple, il y a actuellement une injonction sur les demandeurs de longue durée, qu’il faut convoquer. Les agents doivent les recevoir en masse, sous peine de radiation s’ils ne viennent pas ou s’ ils ne vont pas aux formations. Derrière ces injonctions quantitatives, le risque, c’est la perte du sens de l’action des agents et leur précarisation. Le turn over des agents à Pôle Emploi est très élevé. En moyenne, les agents touchent 1600 euros par mois. Beaucoup de collègues ont deux boulots. Beaucoup sont désormais en CDD. Avant, on estimait que les CDD c’était 5% des agents, maintenant, dans certaines agences, ça monte jusqu’à 20-25% des agents en CDD. “Les précaires accompagnent les précaires”. La précarisation semble la seule chose qui s’étende. Cette maltraitance s’étend bien sûr aux usagers eux-mêmes, qui n’ont plus d’interlocuteurs stables, mais surtout qui s’éloignent de l’institution. Très récemment, une étude de la Dares a montré que, comme on le constate sur l’ensemble des prestations sociales, 25 à 42% des salariés éligibles ne recourent pas à l’assurance chômage. Cela touche surtout des personnes en intérim et CDD, en contrat court, qui enchaînent les boulots. D’autres chiffres montrent la maltraitance de l’institution à l’égard des usagers, comme ceux des tensions en agences, de l’augmentation des incivilités. Un chiffre retient l’attention, estime Yoan Piktoroff c’est l’explosion des menaces de suicides des usagers. “La première violence, c’est les usagers qui la vivent”. Le service public se vit des deux côtés du guichet. La diminution du nombre d’agents, la baisse de la durée des droits… c’est les usagers qui la vivent.
Normalement, les politiques sociales sont là pour limiter la précarité, rappelle la sociologue Nadia Okbani… mais le nouveau management public est devenu l’objectif des politiques sociales. Les indicateurs de gestion sont devenus l’objectif de l’action publique, oubliant la finalité du travail social, c’est-à-dire préserver les gens de la précarité. La sociologue explique être interpellée par la confusion actuelle entre l’inclusion numérique et l’accès au droit. C’est un peu comme si l’accès au droit relevait d’un appel à projet que des structures emportent. Le problème, c’est la question de la durée de cette logique. Les centres sociaux deviennent un temps un lieu d’accueil avec un conseiller numérique financé pour une certaine durée et qui ne sera peut-être pas renouvelé… Mais le public aura pris l’habitude de venir, et le centre social devra y faire face, même quand il n’aura plus accès au conseiller numérique… interroge la sociologue en posant la question de la pérennité des aides.
Il manque 50 000 assistantes sociales. Les structures sociales sont exsangues, comme le montre la Seine-Saint-Denis qui a obtenu la renationalisation du RSA. Le recul de l’assistance renforce les problèmes des publics, qui deviennent plus lourds, plus complexes, plus durs. Quand l’accès aux spécialistes est plus difficile, c’est l’accès au droit lui-même qui devient plus complexe, d’abord pour ceux les plus en difficulté.
A la question de savoir si les agents s’opposent à la dématérialisation, Yoan Piktoroff répond qu’en 2022, il y a eu de nombreux mouvements de grèves, notamment pour s’opposer au sous-effectif et à la disparition des missions originelles de l’accompagnement. En fait, il y a beaucoup de mobilisation et de grèves dans les agences, de Pôle Emploi, en passant par la CAF et la CPAM. Elles restent très locales, peu visibles. Une intervention rappelle l’excellent travail de l’association Changer de Cap, toujours sans réponse effective de la CAF, et rappelle que la casse des droits s’accélère et que le numérique est bien le moteur de cette casse et de son accélération. Une assistante sociale de Seine-Saint-Denis, rappelle qu’il y a 30 ans, les assistantes sociales n’avaient pas d’ordinateur. Les tâches informatiques sont devenues si énormes qu’on a l’impression d’être devenues le sous-traitant des autres administrations. Reste que face à la dématérialisation, nous ne sommes pas invités à témoigner. Yoan Piktoroff en profite pour expliquer trop rapidement que le risque de renationalisation du RSA dans le 93 masque surtout celui de sa privatisation. Nadia Okbani en profite pour interroger le discours de la capacitation des publics qui fleurit dans les propos des décideurs de l’action publique. Pour elle, nous assistons au détournement du concept d’empowerment qui ne consiste pas à mettre, comme on l’entend, les personnes au “coeur” de leur responsabilité. J’ai vu des responsables de Pôle Emploi renvoyer des personnes en difficulté vers Google pour se former… Qui peut croire qu’on répondra aux difficultés du public ainsi ? Piktoroff renchérit. Tout le monde parle d’autonomie… alors qu’on ne cesse de demander aux gens de faire le travail des administrations. En interne, dans les zones d’accueil en libre accès, ce sont désormais des jeunes en services civiques qui sont au contact du public. C’est comme si nous sous-traitions nos missions en interne a du personnel précarisé. Nombre de sous traitants ont désormais accès à nos fichiers. Certains peuvent même convoquer des demandeurs d’emplois à des entretiens ou à des formations avec des risques de radiation si ces personnes ne s’y présentent pas. Autre exemple, sur le site de Pôle Emploi, les offres d’emplois sont désormais ouvertes à tous, c’est-à-dire que Pôle Emploi a permis à des sites privés d’y publier des offres. Cela a conduit à faire exploser l’offre. Mais ce million d’offres d’emploi est un chiffre complètement artificiel. La CGT chômeurs a montré que 76% des offres que l’on trouve désormais sur Pôle Emploi sont bidons ou illégales. Si vous inscrivez 3 critères dans le moteur de recherche d’annonces de Pôle emploi, comme CDI, temps plein et Smic : on passe à 100 000 annonces seulement ! L’essentiel de l’offre d’emploi proposé n’en est pas ! La réforme du chômage qui arrive qui va priver ceux qui ont cotisé de 25% de leurs droits est terrible. Le chômage est une conquête sociale qui doit être défendue, étendue. Notre opposition n’est pour l’instant pas à la hauteur, rappelle le syndicaliste. La manifestation annuelle contre le chômage est le 3 décembre à Saint-Denis.
Hubert Guillaud
La prochaine rencontre du cycle Dématérialiser pour mieux régner organisé par le Mouton numérique aura lieu le 19 janvier 2023 et portera sur le contrôle social à la CAF. On s’y retrouve !
Nos comptes-rendu des séances du cycle “Dématérialiser pour mieux régner” du Mouton Numérique :
- Dématérialisation et non recours, 25 octobre 2022.
- Ce que la dématérialisation fait au travail social, 24 novembre 2022.
- Le contrôle social automatisé dans la plus grande opacité, 19 janvier 2023.
- A quoi servent les luttes contre la numérisation, 2 février 2023.
- Dématérialisation, l’externalisation en question, 9 mars 2023
Bonus, Dans les machines à suspicion.
Le gain de productivité de la dématérialisation à Pôle Emploi est nettement en dessous des attentes, explique une étude sur le risque à l’accueil, qui pointe la montée des violences du fait de la difficulté à accéder à des agents pour traiter sa situation : https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/291122/agressions-pole-emploi-les-agents-en-premiere-ligne-cause-des-rates-du-systeme
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Très riche retour d’expérience de Baptiste : “Mon service civique chez Pole Emploi”, qui concrétise très bien tous les paradoxes et toutes les injonctions dont on discutait lors de cette séance : https://www.marxiste.org/actualite-francaise/monde-du-travail/3184-mon-service-civique-chez-pole-emploi
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En Seine-Saint-Denis, le département a décidé de confier l’accompagnement des bénéficiaires du RSA au secteur privé ! Des précaires vont désormais s’occuper d’autres précaires ! https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/030323/rsa-en-seine-saint-denis-la-privatisation-du-suivi-des-beneficiaires-accumule-les-rates
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